J’aimerais te dire mille choses. Des mots et conseils à la volée pour te protéger, te guider et t’aider à traverser les passages tantôt doux, tantôt sombres et souvent obligés de la maternité. J’aimerais t’éviter ma souffrance passée, te confier mes erreurs, te détourner du malheur, ma petite sœur. J’aimerais te simplifier la vie, te faire connaître que le beau et le bon, t’épargner du temps, des sous et des soucis. Mais mon expérience n’a de valeur que si tu lui accordes un sens, que si tu ouvres ta porte à mes dires, que si tu cherches à les entendre.
Alors voici la lettre que je t’écris, à l’encre de mon cœur, à l’abri de ton regard. Ma bienveillance fraternelle ne t’aidera pas à cheminer si elle t’est imposée. Et loin de moins l’idée de gâter le rose qui habille tes journées. Advenant quelques trébuchements ou une grisaille soutenue, ma main te sera toutefois tendue et ces écrits te seront rendus, à condition qu’ils soient attendus, bien entendu. D’ici là, motus et bouche cousue.
À ma petite sœur devenue maman, sèche tes pleurs et remonte tes manches. Je t’ai souvent vu tomber à vélo. Remontes-y aussitôt et sache que….
Un tourbillon
Le premier enfant, la première année, c’est vraiment prenant. C’est un tourbillon d’émotions, de nouveauté et un ensemble déstabilisant, ponctué d’innombrables instants de bonheur et de moments de désarroi. C’est une suite interminable de questionnements qui prennent temps et énergie.
D’abord, il y a les inquiétudes fonctionnelles : mon bébé a-t-il chaud ou froid, est-ce que je le stimule suffisamment, est-ce que mon lait est optimal, quand introduire les solides? Tout ceci dans un corps nouvellement transformé, souvent encore lésé. Oui, l’amour panse les blessures, mais il n’adoucit pas les points de suture.
Je te rassure; le deuxième enfant, tu ne lis plus vraiment sur le sujet, faute de temps et d’un instinct clairement plus développé. Tu tolères mieux les pleurs et tu arrives à les réconforter plus rapidement. Tu te remets mieux de l’accouchement, normalement. Tu as déjà lu le mode d’emploi et fait l’expérience une fois. « Practice makes perfect », disent les anglos.
Se choisir, même juste un instant
Mais retire le mot perfection de ton vocabulaire, petite sœur. C’est une quête utopique dénuée de plaisir.
Le premier enfant te met face à ton toi-même exigeant, dans le cadre d’un nouveau rôle pour lequel tu n’as pas été formée professionnellement. Tu dois apprendre à te diriger, t’évaluer, te récompenser. Tu es aussi confrontée à des carences personnelles, tu dois penser à tes besoins essentiels. Or, quand il te semble impossible de te nourrir ou de fréquenter librement la salle de bain pour vider ta vessie ou nettoyer un peu de lait suri, c’est drainant et irritant. Et tout ce qui irrite finit par blesser. Alors, choisis-toi, quelques minutes, pour te soulager.
Le manque de sommeil
Le manque de sommeil est l’irritant majeur avec un grand I. Celui qui rend dingo, colérique, impatient, dépressif, à la longue. Il ne faut pas prendre de grosses décisions le soir, au coucher, dans le pire moment de fatigue accumulée. Dans le même ordre d’idées, il ne faut pas saturer la journée d’activités, une fois qu’on a dormi quelques heures de plus qu’à l’accoutumée.
Le manque de sommeil se paie toujours en retard, comme une carte de crédit. Le compte n’arrive jamais en même temps que la transaction. L’absence marquée de sommeil se contourne avec du café, des petites sorties, de la valorisation et une tonne de résilience. Au fil du temps, tu apprends à fonctionner avec agrément. Et sache que tout est une phase.
Ce n’est qu’une phase…
Quand tu te décourages d’une période difficile, dis-toi qu’il n’y a rien d’éternel. C’est un court laps de temps dans une vie. Ça ne rend pas le quotidien plus facile, mais l’espoir nourrit l’âme. Et surtout, n’anticipe pas. Si ta journée a été similaire au contenu de la
couche de ton bébé, ça ne veut pas dire que ta nuit ou demain sera identique. Un jour à la fois. Respire.
Les engagements sont la mère de bien des déceptions. Ne prends pas d’engagements qui vont te faire gaspiller tes médiocres batteries. Si tu planifies continuellement des rendez-vous (autres que médicaux) ou des sorties, tu vas courir, te confondre en excuses pour ton retard et t’imposer du stress.
Enfanter, c’est perdre le contrôle momentanément du temps. Il faut apprendre à écouter son enfant et son corps avant sa montre, au risque de déplaire.
La loi du 20-80
Pour le reste, c’est l’ultime loi du 20-80. Concentre-toi sur le minimum d’obligations qui requièrent 20% de ton temps, mais qui te rapportent 80% de satisfaction. Oublie les éléments de ta to-do list qui te rapportent seulement 20% de high five, aux gras coûts de 80% de ta disponibilité.
Baisse tes attentes. Envers toi-même, envers les autres, envers l’univers. Tu gagnes à admirer le caméléon pour sa mutabilité. Tu peux rebondir comme le chat si ton plan fout le camp, mais tu n’es clairement pas une truie si tu annules ton amie. C’est TON congé de maternité; c’est toi le boss, c’est toi qui détermines ton horaire et ta flexibilité…10% du temps. Les 90 autres pour cent sont régulés par capitaine bébé, j’en conviens.
L’essentiel de mon message, c’est que tu PEUX modifier ta journée en tout temps, n’importe comment, décliner des offres au gré du vent, de tes humeurs et de ceux de ton mignon poupon. Tu peux aussi désormais arriver les mains vides, mais le cœur plein de reconnaissance et donner au suivant à un autre instant. Les gens n’ont pas nécessairement besoin d’un cadeau; ils sont heureux de te rendre service et tu leur en rendras un ou plusieurs en retour, un autre jour. Jouer à « donnant-donnant », quand on a le ciboulot en Jell-O, c’est pas jojo. Ça ne fait pas de toi un être dénué de générosité. La preuve; regarde comment ton coco ne manque de rien.
Choisir ses combats
Bref, choisis tes combats. Tu n’es pas seule. Demande de l’aide. Ne l’attends pas et n’embarque pas dans le jeu du « capable toute seule ». Inclus ceux qui t’entourent dans le développement de ton enfant et de ton rôle maternel. Surtout, inclus papa dans les soins de bébé, à sa manière, sans rouspéter ni diriger. Tous les chemins mènent à Rome. Un bain, ça se donne de plusieurs manières.
Vous êtes désormais parents et coéquipiers. Parlez- vous, respectez-vous, pardonnez-vous et surtout, exprimez régulièrement votre gratitude mutuelle. Tout comme toi, ton partenaire veut se sentir utile, valorisé, inclus. Il n’a pas besoin d’exploits sexuels hebdomadaires ou de lingerie fine quotidienne pour rester accroché au nid. Il a besoin qu’on lui rappelle qu’il a été choisi comme papa, qu’on le choisit encore comme conjoint et qu’il y aura lumière au bout du long tunnel de la première année.
Le manuel d’utilisation
On aura beau acheter 5804 livres, mais celui de notre bébé n’existe pas. Il se crée. On fait avec les outils que l’on a. On écoute nos pairs et on prend ce qui fait notre affaire. On arrête de faire des choses pour plaire. On découvre, au même titre que bébé. On s’écoute, on se respecte et on arrête de se flageller.
Personne ne nous prépare à être mamans. Sauf notre propre mère qui nous a servi d’exemple, exemplaire ou pas. Et Dieu sait qu’on en a une inspirante, présente et dévouée, chère soeur. On ne sera jamais notre mère. Mais tu peux reconnaître maintenant tout ce qu’elle a fait par amour pour toi et utiliser ce carburant pour redonner exponentiellement à ton fils, en retour.
La maternité : un beau (gros) défi
Enfin, comme sœur, je suis mal placée pour pleinement t’aider. Je n’ai pas la clé non plus de la facilité. Mais ce que je peux te dire, c’est que la maternité, c’est la job la plus prenante et difficile qu’il m’ait été donné d’accomplir et aussi le plus beau défi qu’il m’ait été donné de relever.
Le congé de maternité est un rare moment de la vie où on « s’arrête » et on pense à ce que l’on est comme personne, ce que l’on aime, ce que l’on prend pour acquis, ce qui nous définit. C’est un moment en or pour contempler nos valeurs, les questionner, se demander lesquelles on souhaite transmettre et véhiculer.
On prend le temps, dans cette phase, de se découvrir des forces et d’accueillir nos faiblesses. On se transforme, on s’émeut et on se transforme en quelqu’un de mieux. Après une année de dévotion, à donner sans compter, sans horaire et sans grands honoraires, tout se replace. On constate l’autonomie de notre petit chéri. Le retour au travail rémunéré se concilie et on retrouve une certaine indépendance.
On se réapproprie son corps, on retrouve souvent son amoureux. Tout prend son sens. Tout s’équilibre … tellement qu’on finit par faire un autre enfant.