Il est 8h05, la berline qui m'amène ma belle puce aux grands yeux noirs arrive. Son grand sourire m'annonce qu'elle est heureuse d'arriver à l'école. Je détache son harnais sécurisé (elle doit le porter parce que le transport est anxiogène pour elle et elle se désorganise). J'ai droit à un câlin, elle prend ma main et on entre. Elle porte une jolie robe et ses petits cheveux crépus tressés sont décorés de petits coeurs.

Nos matins sont doux. On est seules dans la classe. Je tourne son sablier et on s'installe collées-collées le temps d'une histoire sur le canapé où elle fait ses siestes. Elle prend une mèche de mes cheveux entre ses doigts et la passe sur son visage. La cloche va bientôt sonner et pour tous les autres élèves; c'est signe que la journée commence, mais pas pour elle.

Crédit:Image par kone kassoum - Pixabay

Je l'étreins plus fort et lui dit: « E. Ça va bientôt sonner. » Elle angoisse. Elle ne comprend pas ce que ce son annonce et ça la surcharge. C'est pourtant la berceuse de Brahms. Elle sursaute, mais ça semble aller. Cinq minutes plus tard, sans crier gare, elle lancera le pot de crayons.

E est atteinte du trouble du spectre de l'autisme, mais elle est bien plus que ça. Elle est une petite fille de 8 ans qui aime danser et peindre. Elle est non verbale, mais a une voix magnifique lorsqu'elle chante dans sa langue bien à elle. Elle sait lire les mots-étiquettes, écrire son nom et adore les princesses et les brillants.

Ses journées à l'école sont éprouvantes. Elle ne peut pas être avec les autres élèves de sa classe TSA, car le bruit et l'excès de stimulation la rendent agressive. Et c'est pour cette raison que je suis entrée dans sa vie. Pour alléger ses journées, pour comprendre les situations qui la rendent inconfortable, les prévoir et l'aider à les apprivoiser.

Je l'ai aimée tout de suite! Profondément même. Au début, j'aurais donné beaucoup pour être dans sa tête; juste une heure. Pour voir la vie à travers ses yeux. Puis, j'ai réalisé que c'était possible. Alors je me suis laissée porter par l'autisme, dans les vagues douces et chaudes qui se transforment parfois en raz de marée orageux. Plus les journées passaient, moins les tempêtes étaient fréquentes et plus notre petit bateau fragile devenait un beau paquebot solide.

Crédit:Photo par Kiana Bosman - Unsplash

Le jour où E m'a dit: « Je suis contente de te voir! » mon coeur a fondu! Cette enfant qui parlait à peine arrivait maintenant à formuler des demandes. Ensemble, on a (re)découvert le soleil et le ciel, parce que les pictogrammes et la réalité sont bien différents. J'ai consolé des larmes qui semblaient inépuisables, reçu des coups, car plus elle m'aimait, plus le besoin de me blesser en situation de stress était grand. Mais jamais je ne lui en ai voulu.

Un jour, sa maman a été convoquée à l'école, pour apprendre que E irait dans un établissement spécialisé. J'étais là. Les mots qui se sont dit étaient lourds de sens, pesants et tristes même. Mais moi, c'était autre chose que je voyais de cette enfant. Alors je lui ai dit!

À toi, parent d'un enfant autiste, j'ai envie de te dire que ton enfant différent est magnifique. Il voit la vie d'un regard pur et aidera quiconque à réaliser que l'essentiel est invisible pour les yeux. J'ai aussi envie de te prendre dans mes bras. Je passe 6h par jour avec l'autisme dans le coeur alors que toi, tu l'as dans l'âme 24h/24.

Je suis préposée aux élèves handicapés et l'autisme a changé mon coeur.

J'espère profondément que tous les enfants autistes auront la chance d'être entourés de plein de gens pour les aimer et que tous leurs parents trouveront sur leur chemin des mains pour les soutenir, des épaules où s'appuyer et des bras pour les envelopper.