J’ai couru, enceinte. Dans le sens propre et figuré. Comme tout le monde, j’ai couru pour l’usuel métro-boulot-dodo. Quoi que ma version à moi, c’était : auto-boulot-qui-vide-le-ciboulot-dodo-sans-sentiment-de-repos. Mais j’ai aussi couru, physiquement, dans les rues, en toute volonté, munie de mes gracieuses pattes de baleine. Je me remémore encore le son de mes pas martelant le bitume, rappelant une fanfare éléphantesque. Mais j’avais le vent aux fesses et de l’oxygène plein les poumons. J’avais l’air pesant, mais je n’en ressentais que le côté apaisant. J’étais en symbiose avec mon corps, pourtant en pleine transformation. Je planais de béatitude, essoufflée d’exaltation.

Seul bémol: le regard moralisateur du petit peuple mal informé. « N’as-tu pas honte de jogger, alors que tu portes en toi un bébé? », « Tu auras tout le temps de perdre ton poids, quand tu accoucheras », « Tu vas perdre ton bébé, à vouloir autant t’activer ». Honte à moi, égoïste mère en quête d’air et de vitalité, en recherche de bien-être et de liberté. J’étais la proie de regards mal avisés.

Grossièrement, j’ai couru à mes deux grossesses jusqu’au troisième trimestre. La loi de la gravité finissait bien malgré moi par gagner, contre le poids de ma bedaine bien assumée. Ma demi-centaine de livres, acquise pourtant avec alimentation saine et activité physique régulière, exigeait un persistant abonnement à Mme Porcelaine, en cours de route. J’avais la vessie hyperactive, inversement proportionnelle à mon énergie résiduelle, en fin de gestation.

Pourtant, l’énergie amène l’énergie. Le sport induit le sport. Et j’ai toujours couru. Avant, pendant et 4-6 mois après mes grossesses. Habitude encastrée dans mon être; médication anxiolytique naturelle imbriquée dans ma tête. Je n’ai jamais accéléré la cadence ni voulu faire preuve de performance, enceinte. Et le poids, ma foi, je n'en avais rien à cirer! La course, c’est une libération de l’esprit, un plaisir et une pulsion que j’ai toujours choisi d’assouvir.

J’ai d’ailleurs toujours demandé l'accord médical préalable et le physio m'a chaque fois donné le « okay », post examen du périnée. Je n’ai jamais couru sur des surfaces glacées ni dépassé les limites de mes capacités. J’ai fait mes devoirs et j’ai vu à ma santé, comme le préconisent les spécialistes en maternité. J’ai simplement choisi de rester active; enceinte à l’os, heureuse à souhait!

J’ai bougé. Au même titre que mes doux bébés. Eux, au son de mon cœur. Moi, avec de la musique à fond dans mes écouteurs. On a respiré en chœur. On s’est laissés bercer mutuellement, par le vent. On a fait fi des regards malveillants. On a trottiné, au soleil couchant, nausées pas nausées, jusqu’à l’orée du troisième trimestre, moment où j’ai accroché mes chaussures pour sortir mes pantoufles douillettes et faire le plein de douceur, en attendant la venue de chacun de mes petits cœurs.

J’ai couru enceinte. J’ai secouru mon être, en portant un petit être. J’ai choisi de faire la course, soutenant fièrement le regard de tous ces airs bêtes. J’ai vaincu stress et préjugés, sans pourtant porter préjudice à ma micro-société. Je suis une joyeuse maman joggeuse assumée.