Lorsqu’on a commencé à vivre ensemble, nous étions si jeunes. On se croyait adultes, en n’étant pas si certains de ce que cela signifiait. On vivait au jour le jour, le bonheur se trouvait dans peu de choses. Une balade main dans la main, une bière au parc cachée dans un thermos, notre tandem d’avatars combattant des monstres de jeux vidéo jusqu’aux petites heures du matin.
On s’est établis, même si on possédait trois fois rien, dans un petit appartement qui ne sentait pas très bon. On s’était acheté de la peinture et on avait redécoré avec des couleurs horribles. Nos pièces étaient vides de meubles, mais pleines de joie et d’amour. On dormait dans mon petit lit simple, en attendant de pouvoir se payer un plus grand matelas. Notre seule acquisition neuve était une cafetière. Le matin, on s’attendait pour boire notre premier café. On refaisait alors le monde ensemble, ou parfois juste les plans de la journée. Je savais alors, au plus profond de moi, que je voulais vivre ces journées-là avec lui encore et encore. Jusqu’à ce que la mort nous sépare.
On avait parfois 20$ pour finir le mois, et on se croyait quand même riches. Je travaillais au restaurant en attendant de terminer mes études, et je lui glissais une assiette de frites quand il venait me rejoindre. Nous avons toujours été des bûcheurs, des travailleurs. Tout ce qu’on a réussi, on ne l’a jamais volé à personne. On se promettait un bel avenir: une famille, une jolie maison, des voyages.
Une décennie et demie plus tard, ces promesses d’établissement et de prospérité se sont quand même assez bien remplies. Même si tout n’est pas parfait, on possède plus de 20 $ pour finir le mois. On a voyagé souvent, on a fondé une famille. On a une maison un peu trop grande pour nous. Une piscine, deux voitures, un chien: nous sommes devenus de parfaits banlieusards. Nous n’avons plus grand-chose de notre premier nid, nos carrières nous ont permis de meubler tout le vide de nos pièces. Chaque objet qu’on a entré depuis a pris la place de notre jeunesse insouciante. Il y a bien longtemps que nous avons notre grand lit, et une cafetière super performante qui nous fait notre café individuellement dans un temps record. On ne refait plus le monde en attendant notre petit remontant du matin. Je ne sais même plus c’est quand la dernière fois qu’on s’est assis pour le boire ensemble.
Notre vie n’a pas toujours été de tout repos, on a traversé ensemble notre lot de tempêtes, de deuils et de déceptions. Le fait d’être adultes a fini par peser et s’imposer entre nous deux. On fait comme on peut dans un monde qui va souvent plus mal que bien. Malgré les fois où nous sommes tombés de haut, notre complicité et notre bienveillance l’un envers l’autre nous ont toujours permis de rebondir. Mais chaque fois avec un peu moins d’élan.
Et là, nous sommes encore une fois au cœur de l’ouragan. Je ne veux pas croire que, maintenant que nous avons ce que nous disions vouloir, il n’y a plus de place entre nous pour la simplicité. J’attends notre rebondissement, mais je suis fatiguée de faire face aux vents contraires. J’ai peur d’avoir perdu notre chemin dans ce blizzard qu’est devenue notre vie.
Comme les années qui passent nous changent, notre amour aussi se transforme. L’adulte en moi me dit que l’insouciance de nos 20 ans, loin d’altérer notre attachement, ne reviendra plus. La jeune femme que j’ai été me dit qu’encore une fois que nous allons trouver la solution. Je sais toujours, au plus profond de moi, qu’on peut traverser mers et monde ensemble. Dans cet océan d’incertitudes, je m’accroche à nous deux.
J’aimerais seulement retrouver, l’espace d’un moment, ce jeune couple qui partageait un lit simple et du café venant de la même carafe.
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