Vous pouvez lire la première partie de ce texte ici.
Chaque dimanche après-midi, accompagnée de mes sœurs, j’amène mes filles visiter ma mère. C’est un rendez-vous immanquable. On joue aux cartes, on prend du soleil dans la cour. Mais dernièrement, ma fille de 6 ans m’a demandé pourquoi grand-maman vit dans une si grande maison remplie de « très vieilles personnes ». C’est vrai que la maison de grand-maman n’est pas comme les autres; c’est un CHSLD.
Je lui ai expliqué que grand-maman avait besoin qu’on veille sur elle, et ce, jour et nuit, parce que son cerveau a oublié plein de choses importantes. Comment prendre soin d’elle, par exemple. De bien beaux mots pour décrire le plus laid, la démence.
Égoïstement, j’ai tardé à la visiter. Je ne voulais pas m’avouer que c’était ça, maintenant, mon nouveau normal. Je me sentais aussi responsable de son sort. Vous vous doutez bien que placer un proche, c’est loin d’être une partie de plaisir. On se dit qu’on aurait pu faire plus, mieux, tougher plus longtemps.
De plus, la trame sonore des premiers temps suivant son placement est une cacophonie d’opinions et de mini procès-verbaux, débutant tous avec la même introduction : « Moi j’aurais » ou « Moi je n’aurais jamais ». Puis, un jour, silence radio. Plus personne. Juste les échos de la même cassette qui joue en boucle : « C’est devenu trop difficile pour moi », « Je ne suis pas à l’aise dans ce genre d’endroit », « J’aimerais mieux garder un beau souvenir d’elle ». Beaucoup de gérants d’estrade, peu de joueurs sur le terrain.
Au tout début de son hébergement, j’éprouvais aussi un malaise et j’hésitais à exposer mes filles à cette réalité. Je me disais qu’une telle maladie était trop déroutante pour de si petites personnes. J’en étais moi-même effrayée. Encore aujourd’hui, nos visites se suivent, mais ne se ressemblent pas, car on ne peut prévoir ce que ma mère nous réserve ce jour-là. C’est la vie, on s’adapte de notre mieux et on fait face avec résilience. On colmate, on écope, on pleure. D’autres fois, on rit, on savoure en oubliant tout le reste, on s’a, on s’aime.
Pas de cachotteries, l’ambiance et le décor d’un CHSLD, c’est loin d’être un grand hôtel luxueux au jour l’An. C’est beige. Très beige. Beige longtemps. Mais honnêtement, je ne le remarque même plus. Ce que j’y vois, c’est la douceur que dégage la chambre de ma mère qui est tapissée de photographies, de mots d’amour et d’œuvres d’enfants. J’y vois la bienveillance des préposées et la paix d’esprit que lui apporte l’encadrement de sa routine. Et mes filles y voient simplement la très grande maison de grand-maman.
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