Ça fera bientôt un an que je n'ai pas vu ma mère. Ça s'inscrit dans une certaine réalité qui prend forme quand on quitte son patelin natal. Quand on choisit la distance, on choisit aussi un certain éloignement. La famille, à des heures de route, prend un peu le bord. La distance tue la spontanéité, la venue des enfants alourdit la logistique. Les visites s'espacent — et s'allongent. Tout se planifie. On achète des divans-lits, on prévoit un tube de pâte à dents pour les invités. On fait rouler la cafetière à longueur de journée et on accompagne chaque souper d'une bouteille de vin. Chaque fois, c'est une occasion.
 
La dernière fois que j'ai vu ma mère, c'était pendant les Fêtes, l'année dernière. Comme tous les ans. Parce que la distance force aussi les traditions. Et il y a des moments de l'année où on se voit, inévitablement : une longue fin de semaine, un anniversaire. Juste parce que c'est comme ça, toujours. On ne sait plus trop comment c'est arrivé, ni pourquoi. Il y a donc eu ce Noël. Puis, la COVID est débarquée.
 
Une pandémie, ça bouscule tout. Ça change tout, ça détruit tout : rêves, acquis, repères. Tout passe dans le tordeur. Dans l'attente, la peur, l'obscurité, le temps se fige, mais file en accéléré. Et on ne sait plus trop quoi faire ou quoi penser.
 
On ne s'est pas vues depuis un an. Pas dehors, pas dedans — pas même furtivement à travers une fenêtre. Il y a eu des congés fériés, des anniversaires, les vacances d'été. Toutes les traditions se sont écroulées. Elle a protesté, pesté contre la longueur du temps. Sa voix a tremblé devant les dessins des enfants, les centimètres gagnés, les dents tombées. Il y a eu un creux de vague, un bref répit collectif. Mais elle n'est pas venue.
 
Une pandémie, c'est du jamais vu. Du jamais vécu. Chacun gère ça à sa manière. Selon ses capacités, selon son vécu. C'est très personnel. Ça ne se juge pas, ça ne se discute pas. Chacun choisit le niveau de risque qu'il peut accepter. Mais pour certains, ce niveau se situe à 0.
 
Il y a eu ce furtif rêve où on ferait semblant de pouvoir appuyer sur le bouton « pause », où tout le monde aurait droit à un Noël style 2019. Un Noël comme un baume. Il y avait la menace atténuée pour une fois, une seule fois avant on ne sait quand, une unique fois aux airs de dernière chance. Mais sa réponse est demeurée la même : non. Trop risqué, trop peur, trop loin.
 
Certains ne savent gérer que le risque zéro. Ils préfèrent attendre la fin de toutes les mesures, le retour complet à la normale. Et c'est correct. Je comprends. Je ne me permettrais jamais d'insister. Je prends sur moi, je tais ma déception. On aura vécu 2020 à quatre. On se fera un Noël entre nous. On s'attaquera à 2021 avec toute notre âme. On fêtera les anniversaires, on prendra des vacances, on jouera dehors.
 

Et on attendra la fin de la pandémie.