Je suis d’une génération où l’enfant devait coller à un seul et même moule.

Un enfant, ça devait être poli, calme, gentil, propre, bon en classe.

Ajoutons à cela, une éducation très conservatrice qu’on qualifierait de « vieille France » : les enfants ne parlent pas à table, se servent après les adultes, laissent les adultes avoir des conversations d’adultes et surtout il ne fallait pas déranger les adultes.

Le mot « adulte » revenait constamment à tel point que j’avais hâte d’en être une moi-même pour jouir de toutes ces libertés dont on me privait.

Adolescente, si je traversais une peine de cœur ou si je m’étais disputée avec une amie, on me disait : « ce n’est rien, mes problèmes sont bien plus importants que ça » ou bien « profite en car, une fois adulte, on a de VRAIS problèmes ». Bref, tout un tas de phrases préconçues qui avaient le don d’accentuer ma colère plutôt que de panser mes bobos.

Une fois adulte, je me suis rendu compte que les problèmes d’adulte avec lesquels on m’avait si souvent rabâché les oreilles étaient finalement des problèmes mis à leur échelle. Ils n’étaient pas plus importants ni plus graves. Nos problèmes d’enfant étaient ceux de notre réalité avec leurs enjeux et leurs effets. Même constat pour ceux des adultes. Un problème d’enfant n’en est pas moins grave si sa réalité le considère comme étant telle.

Ajoutons de nouveau à ce constat le fait que les enfants étaient considérés comme une entité unique avec une personnalité et une intelligence unique. Un enfant mauvais à l’école était forcément un paresseux ou un cancre. Un enfant calme était poli, un enfant agité était tout l’inverse. On encourageait une passion créative, mais on n’envisageait pas que cette passion puisse être une vocation professionnelle.

Enfant, je devais constamment faire comme ma sœur. Elle était bonne en français, je devais l’être aussi. Elle faisait du piano, je devais en faire aussi. Elle aimait lire, on ne comprenait pas pourquoi moi je n’aimais pas.

Bref, finalement, qui j’étais et ce que j’aimais, ce n’était pas très important. On faisait les choses en lot, c'est bien plus simple!

Et puis, je suis devenue mère. J’ai appris à connaître mon enfant, sa personnalité, ses goûts, ses besoins, ses défis, ses forces. Ma fille était une « elle » à part entière. Ni comme moi ni comme son père. Et venue quelques années après sa sœur, une autre « elle » à part entière. Différente de sa sœur. Comment pourrais-je les considérer comme identiques alors qu’elles sont tout l’opposé ? L’une est sensible, l’autre non. L’une est fonceuse, l’autre non. Elles ont leurs propres enjeux, leurs propres forces, leurs propres faiblesses et surtout leurs propres rêves. Mon rapport à l’une et à l’autre est forcément teinté par rapport à leur personnalité.

Chez moi, les enfants ont le droit de parler, de jouer, de rire. Ils peuvent se servir en même temps que nous, entrer dans une conversation d’adulte pour donner leur avis. Ils ont finalement les mêmes droits que nous, les adultes.

Mais surtout, mes enfants ont la possibilité d’être uniques. D’apprendre à se connaître, à valoriser leurs goûts, leurs visions, à développer leur personnalité sans se coller à celle d’un.e autre.

Je ne veux pas qu’elles vivent à travers moi. Je veux qu’elles voyagent en suivant leur route. Je veux qu’elles s’affirment, qu’elles revendiquent, qu’elles s’insurgent, qu’elles condamnent qu’elles aiment, qu’elles rayonnent.

Je veux qu’elles soient fidèles à elles.