Ma mère m’a mise à la porte quand j’avais 16 ans. Si vous lui en parlez, elle vous dira que c’était une marque de confiance. J’étais mature pour mon âge. Moi, à cette époque, je vous aurais dit la même chose. Aujourd’hui, avec mon cœur de mère, je vous dirais : « elle m’a crissée dehors » ou peut-être pas. Je n’utilise pas ce type de langage.
Au primaire, je devais préparer le déjeuner de mes sœurs avant de partir pour l’école. Au secondaire, c’était le souper, pour ensuite faire le ménage et les couchers. Le ménage devait être parfait au retour de mère. Elle niera si vous le lui demandez. J’exagère toujours. Moi, je vous aurais dit que c’était temporaire ou que je gérais bien ça.
Lorsque vous partiez en échange étudiant, je faisais comme si j’en avais rien à foutre, de l’Europe. J’étais au-dessus de ça. Lorsque vous viviez dans des appartements payés par vos parents près du campus, moi, je payais le mien à l’autre bout de la ville, ainsi qu’une partie de l’épicerie de ma mère avec mes prêts et bourses. Mes sœurs ne mangeraient pas sinon, qu’elle me disait.
Si vous croisez ma mère, elle dira que c’est grâce à elle si j’ai fait des études. Mon banquier vous parlera plutôt de l’ampleur de mes dettes étudiantes, digne d’un étudiant de Havard. Si vous voulez savoir en quoi j’ai étudié, elle n’aura pas la bonne réponse. Le dernier appui de sa part remonte aux élections scolaires. J’étais en sixième année et je me présentais comme vice-présidente. J’ai perdu avec les pires pancartes électorales jamais créées.
Ma mère vous dira aussi qu’elle était à mon mariage et à la naissance de ma fille avant d’ajouter que j’ai gâché son expérience de ces événements. Moi, en ravalant mes larmes, je vous dirai que j’attends toujours le plus beau jour de ma vie. J’attends l’événement où elle ne se sera pas imposée, l’événement où je ne serai pas insultée devant tout le monde.
Elle vous dira aussi qu’elle est plus compétente que moi pour élever mes enfants. Je ne le suppose pas, malheureusement. Elle l’a vraiment dit à ma belle-famille. S’il me reste un filet de voix après tout ça, je vous raconterai comme je me force à sourire lorsque le facteur sonne à la porte. J’attends sa poursuite en cours pour avoir accès à mes enfants. Je souris pour ne pas que mes enfants se rendent compte que mon cœur arrête de battre une fraction de seconde. Je vous dirai que je me battrai jusqu’à mon dernier souffle pour qu’ils ne connaissent pas leur grand-mère toxique.
Mes enfants sont jeunes. Ils ne savent pas encore que leur mère a, elle aussi, une mère. Je ne sais toujours pas comment leur expliquer. Pour moi, je n’ai plus de mère, je l’ai reniée. Mais un jour, la question viendra. Honnêtement, j’aimerais pouvoir leur dire qu’elle est morte comme grand-maman Bi dans Passe-Partout.
Comment parvenez-vous à expliquer les situations difficiles à vos enfants?