On commence par appeler son monde. Joindre la famille d'abord : cousins, oncles. Avoir des nouvelles, absolument. Passer aux amis. Leur dire la même chose à tous : restez chez vous surtout, ne bougez pas. On regarde les infos en boucle pendant qu'on mange, on écoute les tâtonnements : cinq à sept tireurs, 120 à 140 victimes. Le doute, toujours, pour empirer les choses. La peur commence par le doute, on devrait le savoir, mais on laisse quand même la télé allumée.

Après, on espère. Quand on est Arabe, on espère, très égoïstement, que ces attentats, horribles, meurtriers, soient revendiqués par les suprémacistes roux, les Corses unijambistes, la junte birmane, on espère ne pas être éclaboussé par le sang qui coule. Moi, j'ai eu cet égoïsme-là, tout en souffrant avec Paris, avec cette ville que j'aime, cette ville dans laquelle j'ai des petites habitudes, des amis, dans laquelle j'ai mon monde. J'ai frissonné en regardant des parents courir dans les rues un gamin dans les bras aux infos en pensant que demain, si peu de gens comprendront que c'est cette terreur-là que les réfugiés musulmans fuient. J'ai encaissé le choc du nombre, des exécutions du Bataclan en me disant qu'avec ça, on va me demander de condamner.

Demain, il va y avoir des gens qui n'ont jamais mis les pieds aux Halles pour douter du fait que je pense que tuer des gens, c'est mal. Il va y avoir des gens qui pensent assez de mal des Arabes, des Musulmans, pour croire que je pourrais me réjouir de voir Paris brûler, que je pourrais avoir cette peur au ventre quand je pense aux miens terrés chez eux et danser sur les cadavres des innocents tués en même temps.

Ces gens ont tort. Ils polluent déjà mon fil Twitter, mon mur Facebook. Demain, ils chroniqueront dans mes journaux, s'épancheront à la radio et habiteront ma télévision. Ces gens vont vous dire que mes tantes aux foulards blancs qui s'affairent dans les marchés des villes chaudes sont des ennemis sanguinaires, que les enfants qui fuient les mêmes tueurs qui nous assiègent sont des germes de monstres.

Qu'ils vous le disent. Je vois ces faiseurs d'opinions me demander de prouver mon humanité. De montrer patte blanche dans l'horreur et je les entends me dire que les critiquer, c'est approuver Daesh, comme si c'était faisable de plébisciter Daesh, comme si c'était humain. Je ne peux rien faire contre Daesh : mes mots ne sont pas des machettes. Ils ne peuvent démembrer personne. Alors, oui, je m'agite contre ces gens-là, j'en appelle à la fraternité. Je vous demande de partir de l'hypothèse que l'horreur m'horrifie. Je vous demande de ne pas croire les engendreurs de haine, de ne pas créer plus de haine que celle qui a éclaté à Paris aujourd'hui.

J'en appelle à la fraternité. C'est elle seule qui nous évitera la destruction.