Ce texte, on me le reprochera. Ces mots, ils ne s’écrivent pas. Pas de la part d’une maman. Pourtant, j’ai pris la décision d’assumer ce que je vis depuis quelques mois. Je choisis d’aborder ce sujet qui est tabou, mais tellement présent chez les parents qui ont un enfant handicapé et ensuite un enfant qui ne l’est pas.

Il y a sept ans, je donnais naissance à un bébé handicapé qui demanderait dévouement, sacrifices. Une petite fille qui me ferait connaître ce qu’est l’amour inconditionnel. Tout donner, au-delà de mes forces, en balayant du revers de la main, mes rêves, mes aspirations. J’étais sa mère, c’était mon devoir. Je ne me suis pas questionnée, je l’ai fait.

 Et est venue Livia.

Il y a deux ans et demi, je mettais au monde cette petite brunette qui allait me réveiller, me sortir de mon monde parallèle dans lequel je vivais avec son aînée handicapée.

Quelques jours après ses deux ans, ça m’a frappée. Cette complicité, ses élans qu’elle prenait pour venir m’embrasser me faisaient du bien. Elle m’a réconciliée avec mon rôle de mère. Cette maman que je trouvais si incompétente. Cette mère qui m’a déçue, qui n’était pas à la hauteur de ce que j’avais imaginé.

Au contact de Livia, la pâle copie maternelle que j’espérais être reprenait des couleurs. Mes interactions avec elle, sans professionnels pour me valider, m’ont permis de faire la paix avec cette mère que j’étais avec ma fille aînée. Cette maman qui avait cette impression de n’être jamais assez, de n’être que ça. Ma cadette m’a permis de comprendre que ce que j’avais fait pour mon aînée sortait du cadre parental. J’ai cessé de me sentir incompétente et j’ai vécu un sentiment de fierté. J’ai cessé de me faire violence, de me demander si ma fille aurait rattrapé son retard de développement si sa mère, ça n’avait pas été moi.

Heureusement, car bientôt ma petite Livia dépassera sa sœur dans son autonomie. Dans quelques mois à peine, ma cadette aura un développement supérieur à sa sœur qui est son aînée. Cinq années les séparent, mais actuellement, leur langage est le même, elles comptent le même nombre de mots dans leur vocabulaire. Dans un futur pas si lointain, ma cadette se questionnera sur sa grande sœur. Pourquoi elle est si grande et si petite à la fois?  

Alors qu’elle en sera probablement déstabilisée et peinée, je devrai lui avouer que j’en suis rassurée. J’aurai envie de lui dire merci de m’avoir réconciliée avec la maternité. Je lui écrirai sûrement une lettre que je lui remettrai quand elle sera en âge de la lire, pour lui expliquer le bien qu’elle m’a fait. Que je ne veux pas banaliser les défis des mamans qui n’ont jamais connu la différence d’un enfant, mais que sa normalité m’a rassurée.

Je lui confesserai que j’ai savouré chacune de nos altercations, même sa phase du non. Je lui confierai que ses « je t’aime » me permettaient d’oublier ses crisettes, que nos interactions ont fait toute la différence. Qu’avec elle, je n’ai jamais eu l’impression qu’elle ne m’aimait pas, qu’elle me rejetait. Parce qu'elle ne me crachait pas sa colère, ses incompréhensions, ne me frappait pas, ne m’arrachait pas les cheveux du haut de ses deux ans. Elle disait simplement « non » à plein poumon, pour me dire « je t'aime » ensuite.  

Une mère ne devrait jamais comparer ses filles, je le sais. Par contre, je souhaite qu’elle sache que de la voir évoluer aussi aisément, fait en sorte que je reconnais maintenant tous les efforts que sa sœur a dû faire pour arriver là où elle est actuellement. Ce point qu’elle dépassera si facilement alors que sa sœur aînée y aura consacré des années.

Si ma complicité est plus simple avec ma cadette, je devrai lui avouer aussi que mon admiration revient à sa sœur aînée, pour tout ce qu’elle a traversé, pour en venir à avoir sept ans et trois ans en même temps.