Saviez-vous qu’au Québec, la prescription de médicaments pour la santé mentale ne cesse d’augmenter depuis les dernières années? Nous sommes d’ailleurs un des endroits au Canada où la consommation d’antidépresseurs, anxiolytiques, antipsychotiques et psychostimulants est la plus élevée par personne. En effet, selon un article de la Presse paru en avril 2021, plus d’un milliard de comprimés ont été prescrits en 2020, ce qui démontre que la santé mentale des Québécois.e.s est fragilisée depuis les dernières années. 

Comme travailleuse sociale dans un programme d’aide aux employé.e.s, une grande proportion des client.e.s qui viennent me consulter le font à cause de symptômes dépressifs ou d’épuisement professionnel. Ces client.e.s ont souvent l’impression qu’ils ne verront jamais le bout du tunnel. C’est normal de se sentir ainsi : la dépression donne l’impression de se trouver dans un brouillard permanent. C’est difficile dans ce contexte d’avoir du recul et de voir comment on peut s’en sortir, alors qu’on a de la difficulté à mettre un pied devant l’autre pour avancer… Quels sont les drapeaux rouges qui devraient vous inquiéter quant à votre état de santé mentale? Quand agir, et comment faire pour s’en sortir lorsque nous sommes piégés dans le cercle vicieux de la démotivation et du désespoir? C’est ce que j’aborderai dans cet article, qui, je l’espère, vous permettra de rester à l’affut des symptômes inquiétants et de savoir par quels moyens vous pouvez vous en sortir avant de tomber trop profondément dans ce puit qui peut être vraiment très profond.

 

Les manifestations à surveiller

La dépression et l’épuisement professionnel, sans être la même chose, se ressemblent sur plusieurs facettes. Les personnes peuvent ressentir une grande fatigue qui ne passe pas après plusieurs jours de repos et un manque d’énergie, une difficulté à accomplir leurs tâches quotidiennes et leurs différents rôles sociaux (prendre soin d’eux, être présent.e comme conjoint.e ou parent, avoir des contacts avec leurs proches), une perte de motivation pour ce qu’iels aiment d’habitude, des problèmes de sommeil (insomnie ou hypersomnie), des pertes de mémoire et des difficultés de concentration, des variations de l’appétit (peu d’appétit ou trop manger) des variations d’émotions inhabituelles (pleurs fréquents, irritabilité, anxiété, culpabilité) et difficulté à ressentir de la joie, une impression d’inadéquation et des pensées dégradantes envers soi-même, une perte d’espoir en l’avenir, du découragement, et plus encore. Dans certaines situations, il peut y avoir la présence d’idées noires, pouvant aller jusqu’à des pensées suicidaires (si c’est le cas, il est important d’appeler rapidement un centre de prévention du suicide, un centre de crise ou info social 811 pour obtenir de l’aide immédiate). Mais que vous ayez des idées noires ou non, la présence de quelques-uns de ces symptômes, pendant une période de plus de 2 semaines, indique que vous n’allez pas bien et qu’il faut agir rapidement. 

Alors, vous avez identifié des symptômes préoccupants, vous désirez prendre action et vous venez me rencontrer pour la première fois. Après avoir fait le portrait du contexte qui vous amène à venir consulter, avoir identifié le problème et ses impacts sur vos différentes sphères de vie, et avoir clarifié vos besoins et vos attentes, nous sommes prêts à entrer dans un processus de rétablissement vous et moi. C’est souvent là que mes client.e.s se demandent quelle recette magique je leur proposerai pour améliorer leur bien-être. Sachez qu’il n’y a pas de recette universelle : chaque humain étant différent, je ne peux pas dire : mettez-vous au yoga et à la méditation et ça va bien aller! Toutefois, selon l’approche du rétablissement, qui a fait son émergence depuis les années 90 et que l’on utilise pour aider les personnes vivant avec un trouble de santé mentale grave (dépression incluse), voici quelques facteurs qui, selon mon expérience, font une différence majeure dans l’évolution de l’état de santé mentale de mes client.e.s.  

 

Avoir de l’espoir et donner un sens à ce que vous vivez 

Comme je le disais plus tôt, la dépression fait émerger un puissant brouillard sur votre vie, vous donnant l’impression qu’il n’y a plus rien autour qui existe que la noirceur. Mais malgré le creux de vague que vous traversez et qui semble durer une éternité, il faut avoir l’espoir que vous allez réussir à vous en sortir. Croyez en la possibilité d’aller mieux, mais en gardant à l’esprit qu’il est possible que vous ne redeveniez pas à 100% comme vous étiez avant. Vous allez devenir une version 2.0 de vous-même, plus consciente de ses besoins, mieux en mesure de reconnaitre ses signaux d’alarme au quotidien et de mettre en place un filet de protection pour éviter de rechuter. Toutefois, pour y arriver, on doit commencer par trouver un sens à ce que vous traversez. Il faut faire une rétrospective de ce qui vous a mené jusqu’à la dépression, identifier ce qui vous y a conduit ainsi que les signaux d’alarme que votre corps vous a envoyés et que vous n’avez pas perçus à temps. Demandez-vous ce que vous devez apprendre de cet événement, pour éviter de refaire les mêmes erreurs. Ce processus demande d’avoir du recul sur vos difficultés et peut être difficile à accomplir seul.e, je vous conseille donc de recourir à un professionnel de la santé mentale (travailleur social, psychologue, psychoéducateur, psychothérapeute, etc.) pour vous aider à avoir un regard plus neutre et ainsi percevoir des perspectives qui vous ont échappé. 

  

Décrocher de la temporalité

J’ai souvent des client.e.s qui croient qu’après 1 mois d’arrêt de travail, ils pourront reprendre le boulot comme si rien n’était arrivé. Or, si vous accumulez les malheurs et la fatigue depuis des mois, il est peu probable que vous arriviez à vous rétablir en si peu de temps… En parallèle, si vous commencez une médication, il faut considérer au minimum un mois pour commencer à voir des effets, sans nécessairement garantir que vous aurez trouvé le bon dosage ni même le bon médicament pour vous du premier coup. Alors, armez-vous de patience! Pour se rétablir, ça prend du temps, des actions concrètes, du soutien et beaucoup de bienveillance envers vous-même. Je sais que notre société nord-américaine obsédée par la performance et la rentabilité vous a inculqué qu’un arrêt de travail ce n’est pas productif. Peut-être même que vous avez honte, que vous vous sentez faible d’avoir dû arrêter, que vous avez l’impression de profiter du système. Pourtant, si vous aviez un problème de glande thyroïde ou tout autre problème physique qui vous obligerait à arrêter quelque temps de travailler, ressentiriez-vous les mêmes sentiments? Pourtant, le cerveau est un organe comme un autre, qui est tout aussi sujet à des défaillances! Alors comme tout autre problème de santé, vous devez prendre le temps de vous guérir complètement avant de retourner travailler, car savez-vous ce qui n’est pas productif? Retomber en arrêt de travail parce qu’on est retourné trop tôt… Cela ne rendra service à personne, en plus de vous faire vivre un 2e échec. Voyez votre rétablissement un jour à la fois, en comprenant que ce processus n’est pas en ligne droite : il y aura des remontées certains jours qui vous feront croire que vous êtes guéris, et le jour suivant vous retomberez un peu, mais sans nécessairement vous retrouver aussi bas qu’au départ. En vous laissant du temps, vous verrez que vous aurez de plus en plus de bonnes journées, jusqu’à ce que les mauvaises ne soient qu’un mauvais souvenir.  

 

 

Développer l’auto-détermination ou la reprise de pouvoir sur votre vie

Cela signifie d’identifier sur quoi vous pouvez prendre des décisions pour vous-même et d’agir en conséquence pour reprendre en main votre vie et votre avenir. La dépression donne l’impression d’être impuissant.e, ce qui favorise l’inaction. Votre cerveau, dans ce contexte, met aussi l’accent sur tout ce qui est négatif, comme une loupe qui grossit les problèmes et laisse de côté tous les détails qui sont positifs. Pour sortir de ce cercle vicieux, il faut donc reprendre le contrôle sur ce que vous pouvez dans votre vie, un petit pas de souris à la fois, et vous assurer de vous donner des petits objectifs réalistes pour vivre des succès qui vont augmenter votre motivation. Félicitez-vous à chaque petite réussite, même la plus banale, pour rediriger tranquillement votre loupe sur ce qui va bien. Mettez le peu d’énergie que vous avez sur ce que vous pouvez contrôler, et laissez de côté ce sur quoi vous n’avez pas d’emprise. Votre énergie est précieuse, il est important de l’utiliser à bon escient. Rappelez-vous qu’au même titre qu’il est plus facile d’escalader une montagne une marche à la fois que de tenter de rejoindre le sommet d’un seul saut, votre rétablissement se jouera une petite marche gravie à la fois, en vous concentrant sur le chemin que vous avez réussis à parcourir plutôt que sur ce qu’il reste à escalader. 

 

Reconnecter avec le plaisir 

La dépression, d’un point de vue chimique, est un débalancement dans les neurotransmetteurs du cerveau, ce qui fait que la présence en trop grande quantité d’hormones de stress vous limite grandement à ressentir du bonheur. En résumé, cela donne l’impression que plus rien ne vous fait ressentir du plaisir, ce qui vous amène souvent à abandonner les activités que vous aimez faire d’habitude. Toutefois, ce qui va aider à rééquilibrer vos neurotransmetteurs, c’est justement de réintégrer le plus de choses possibles dans votre journée pour vous faire du bien et ressentir du plaisir : vous remettre en mouvement (marche, entrainement, danse, yoga, etc.), écouter de la musique ou en jouer si vous êtes musicien.ne, chanter, rire, lire, écrire, sortir dehors pour vous exposer à la lumière du soleil, caresser un animal, faire de l’art, parler avec vos proches, faire de la méditation, etc. C’est le moment d’essayer de nouvelles choses! Vous pouvez dresser une liste de moyens qui vous intéressent, l’afficher à un endroit visible à chaque jour et vous donner comme défi d’en intégrer au minimum 1 à votre routine quotidienne. Cela fera partie de votre processus de reprise de pouvoir et vous aidera à reconnecter avec les émotions positives comme la détente, la joie, la gratitude et le sentiment d’accomplissement. Les moyens qui fonctionneront pour vous deviendront vos nouvelles stratégies d’adaptation, à conserver même lorsque vous irez bien pour garder votre équilibre à long terme. Je me permets de mettre une emphase sur l’activité physique : après 15 minutes de marche, vous commencez à sécréter des hormones de bonheur. Vous n’êtes donc pas obligé d’y aller longtemps pour que cela ait un impact significatif sur votre santé mentale (et physique bien sûr). Certains médecins avant-gardistes prescrivent d’ailleurs une marche par jour en même temps que les antidépresseurs… Ce n’est donc pas à prendre à la légère. 

L’entraide et le soutien social 

Le dernier facteur favorisant le rétablissement, et non le moindre, est d’oser aller chercher du soutien auprès de vos proches et d’accepter leur aide si celle-ci vous est bénéfique. Appelez vos ami.e.s, acceptez de sortir à certaines occasions même si votre tête vous dit que ça ne vous tente pas, parlez-leur de ce que vous traversez et de ce que vous faites pour vous en sortir. Mes client.e.s me parlent souvent de la lourdeur ressentie à cause de leur dépression, comme s’iels avaient un sac à dos rempli de roches sur le dos. Chaque fois que vous partagez votre vécu avec quelqu’un, que ce soit un.e ami.e ou un.e professionnel.le de la santé, vous enlevez du poids sur votre dos et cela vous permet d’avancer plus légèrement. Vous n’êtes pas seul à traverser ce désert, rappelez-vous les chiffres que je vous ai présentés plus tôt! Je crois que vous seriez surpris de sonder votre entourage et de voir combien de personnes ont déjà pris des antidépresseurs à un moment dans leur vie. N’ayez pas honte de ce que vous vivez : chaque personne qui s’ouvre sur ses difficultés de santé mentale contribue à déconstruire les tabous qui existent encore aujourd’hui à ce sujet. Si vous n’avez personne dans votre entourage à qui vous êtes à l’aise de vous confier, il existe de nombreux organismes communautaires, des lignes d’écoute, des groupes de soutien en ligne, des professionnels au public comme au privé, des programmes d’aide aux employés qui peuvent vous aider.

Je finis en vous disant de ne pas attendre que votre vie soit complètement sens dessus dessous pour demander de l’aide et travailler à retrouver votre équilibre mental. Plus vous attendrez, plus il sera long de remonter la pente. Donnez-vous comme mission de prendre soin chaque jour de votre corps et de votre esprit : n’attendez pas de perdre votre santé pour commencer à l’apprécier et de la chérir.